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Libres propos sur l’éviction de certains barreaux africains de l’UEMOA des professeurs agrégés des facultés de droit

Afrique - Droits nationaux, Ohada
21/09/2017
Plusieurs barreaux africains viennent d'omettre du tableau de l’ordre des avocats des professeurs agrégés. Une décision qui, pour Eric Dewedi, agrégé des Facultés de droit, doyen honoraire à l’Université de Parakou, Bénin, manque de fondements juridique et éthique.
Le Conseil de l’ordre des avocats du Burkina Faso, par une délibération du 31 janvier 2017, a décidé d’omettre du tableau de l’ordre des avocats du Burkina Faso trois professeurs agrégés (v. http://www.lobservateur.bf/index.php/societe/item/6631-barreau-du-burkina-loada-soma-et-seni-omis-du-tableau). Le motif invoqué au soutien de cette surprenante décision serait l’incompatibilité du statut de fonctionnaire desdits professeurs et celui d’avocat. Cette décision pourrait être rapprochée de celle du barreau du Togo qui a refusé l’accès, il y a quelques mois, à la profession d’avocat à des professeur et agrégés des facultés de droit du Togo. Il en est de même du Sénégal, où l’on note la démission d’un professeur agrégé des universités nationales pour embrasser la profession d’avocat.

L’analyse minutieuse du règlement de l’UEMOA invoqué au soutien de la décision conduit cependant à soutenir que, non seulement cette décision manque de base juridique, mais qu’elle est dépourvue de justification éthique.

Le défaut de fondement juridique
L’UEMOA est l’Union économique et monétaire ouest africaine. Ayant pour objectif la création d’un marché commun entre les États membres, l’UEMOA s’efforce de réaliser entre les États membres une libre circulation des personnes, des services et des biens. Dans la perspective de la liberté d’établissement corolaire de la liberté de circulation dans l’espace communautaire, l’UEMOA s’est doté du règlement n° 05/CM/UEMOA relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession d'avocat dans l'espace UEMOA. Il fixe en son article 33 le régime des incompatibilités de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA.

Selon ce texte, « La profession d'avocat est incompatible avec l'exercice de toute autre profession, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires particulières, et, notamment :
  • avec toutes les activités de caractère commercial qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée ;
  • avec les fonctions d'associé dans une société en nom collectif, d'associé commandité dans les sociétés en commandite, de gérant d'une société à responsabilité limitée, de président d'une société par actions simplifiées, de président du conseil d'administration, membre du directoire ou directeur général d'une société anonyme, de gérant d'une société civile à moins que celle-ci n'ait, sous le contrôle du Conseil de l'Ordre qui peut demander tous renseignements nécessaires, pour objet la gestion d'intérêts familiaux ou professionnels ;
  • plus généralement avec l'exercice de toute autre profession ou fonction emportant un lien de subordination ».
On peut noter dans ces dispositions que l’UEMOA n’édicte aucune incompatibilité générale entre le statut de fonctionnaire et la profession d’avocat.

Toutefois, l’article 33 précise que les incompatibilités qui sont fixées par l’UEMOA sont déterminées sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires particulières. Il y a ainsi une réserve du règlement qui amène à examiner si dans les États membres de l’UEMOA, il existe des dispositions législatives et réglementaires particulières qui peuvent permettre de soutenir que le statut de fonctionnaire des professeurs agrégés des facultés de droit est incompatible avec la profession d’avocat.

De telles dispositions si elles existent, peuvent être surplantés par d’autres dispositions d’origine conventionnelle. En effet, le statut des professeurs agrégés découle d’une autre norme internationale, notamment l’accord du CAMES relatif au concours d’agrégation des sciences juridiques, économiques et de gestion (SJPEG) pour l’enseignement supérieur.
Selon l’article 10 dudit accord sur l’admission au concours d’agrégation CAMES, « chaque État partie s’engage à instituer maître de conférences ses nationaux dans l’ordre de la liste et à concurrence des postes nationaux ouverts au concours » (v. Université du Bénin, Guide du candidat, Presse de l’UB, Lomé, 1991). Au regard de ces dispositions, à moins de démissionner de la fonction publique (ce qui est lourd de conséquence pour lui dans son État selon les cas), un agrégé ne peut pas être un enseignant vacataire. Cette disposition qui résulte d’une convention internationale est donc supérieure aux lois internes des États membres. Elle peut être associée à l’article 24 du règlement de l’UEMOA, qui permet non seulement aux professeurs agrégés des facultés de droit d’accéder à la profession d’avocat, mais leur accorde l’accès à cette noble profession par voie dérogatoire.

Il serait alors absurde de considérer que le règlement de l’UEMOA prévoit l’accès des professeurs agrégés des facultés de droit à la profession d’avocat par voie dérogatoire pour leur en interdire l’exercice, sous prétexte d’une prétendue incompatibilité de leur statut de fonctionnaire à l’exercice de la profession d’avocat qui, du reste, est dépourvue de justification éthique.
 
L’absence de justification éthique
Une exclusion de professeurs agrégés des facultés de droit comme cela s’observe dans certains barreaux africains, manque aussi de justification éthique. En effet, en raison de leur statut, les professeurs agrégés des facultés de droit constituent non seulement l’un des représentants chevronnés de la doctrine, mais ils sont aussi des formateurs de premier plan dans le domaine des sciences juridiques.

Tout jeune bachelier qui aspire à exercer la profession d’avocat dans l’espace UEMOA est tenu, en effet, d’obtenir un diplôme de master en sciences juridiques. Il faut pour cela faire des études en droit dans les facultés de droit, où tous les enseignements sont donnés sous la responsabilités des professeurs et des agrégés. Les barreaux africains ne seraient, dans ce contexte, que gagnant en œuvrant pour que ces représentants de premier plan de la doctrine veuillent embrasser la noble profession d’avocat en vue de mettre leur connaissance théorique au service des besoins pratiques des hommes et des femmes de toute conditions ainsi que des institutions publiques ou privées qui aspirent à la justice. Pour les Universités, la participation des avocats à l’enseignement et à la recherche universitaire est un enrichissement constant.

Par ailleurs, selon l’article 29 du règlement de l’UEMOA, « La formation professionnelle initiale et continue est obligatoire pour tout avocat inscrit dans un des barreaux de l'espace UEMOA, suivant les conditions et modalités définies dans un acte pris en application du présent règlement et les règlements intérieurs des différents barreaux ». Au regard de ces dispositions, les avocats sont astreints à une formation continue obligatoire. Cette formation continue des avocats est donnée, dans la pratique, sous la responsabilité des professeurs et des agrégés des facultés de droit, dans la mesure où la bibliographie de ces formations et produite principalement par ceux-ci. On pourrait ajouter, aussi, le fait que les productions scientifiques de la doctrine dans les articles et ouvrages est une source d’inspiration féconde aux avocat, dans la rédaction de leurs consultations, conclusions et autres écrits juridiques et judiciaires.

Dans ces conditions, quelle valeur éthique un avocat peut-il invoquer pour justifier l’exclusion d’un professeur agrégé du barreau en raison de son statut de fonctionnaire alors que ceux-ci ont une charge d’enseignement qui n’excède pas dix heures par semaine ? 

Il convient de noter que la position du barreau du Burkina Faso est très marginale à l’échelle mondiale. Des pays de l’UEMOA tels que le Bénin et la Côte d’Ivoire n’ont pas édité une incompatibilité entre le statut de fonctionnaire des professeurs agrégés et la profession d’avocat. Ces pays sont allés plus loin en prévoyant que la profession d’avocat est compatible avec les fonctions de professeur et de chargé d’enseignement dans les facultés de droit. Au-delà de l’Afrique, on peut citer l’exemple de la France, dont le système juridique reste la source principale d’inspiration des États francophone d’Afrique. Il en est de même de l’exemple du Canada et d’autres pays du monde.

Il ne reste qu’à souhaiter que la justice du Burkina Faso rejette cette décision, tout en trouvant les voies d’une meilleure collaboration entre tous les acteurs de la justice au Burkina, mais aussi dans l’espace UEMOA.
 
Source : Actualités du droit