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Le nouveau divorce français sans juge dans les États de l’Afrique francophone au sud du Sahara : rupture ou cohabitation ?

Afrique - Droits nationaux
17/11/2017
Depuis le 1er janvier 2017, il est possible, en France, de divorcer par consentement mutuel sans passer devant un juge. Mais quel est l’accueil réservé à ce nouveau divorce dans les États d’Afrique francophones, au sud du Sahara, où le divorce demeure judiciaire ? Les réponses d’Eric Dewedi, agrégé de droit privé, doyen honoraire à l’Université de Parakou, directeur du Centre de droit économique (CEDE/UP).
En France, on peut désormais dire, depuis le 1er janvier 2017 que : « ce que la volonté humaine à fait dans le mariage, elle peut le défaire dans le démariage ». En effet, depuis la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, JO 19 nov. ; D. n° 2016-1907, 28 déc. 2016, JO 29 nov., relatif au divorce prévu à l’article 229-1 du Code civil et à diverses dispositions en matière successorale), les époux qui les souhaitent en France, peuvent conclure un divorce sans juge.
 
Dans un contexte de mondialisation il est intéressant d’étudier la portée extraterritoriale de cette réforme. La question se pose dès lors de savoir quel serait l’accueil réservé au divorce sans juge dans les États d’Afrique francophones, au sud du Sahara, où le divorce demeure judiciaire.
 
 Au regard des règles de droit international privé de ces États, l’accueil du divorce sans juge est possible dans l’un quelconque des États de l’Afrique francophones au sud du Sahara si une convention de coopération judiciaire entre la France et ledit États le prévoit. En l’absence d’une telle convention, l’accueil du divorce sans juge dans ces États sera régi par les règles de droit commun du droit international privé.
 
En droit international privé commun, l’accueil du divorce sans juge conclu en France est possible dans les États d’Afrique francophones où il possède un fort potentiel d’attractivité, mais ses effets peuvent être paralysés par les mécanismes de reconnaissance et d’exécution des actes publics étrangers dans ces États.
 
Un fort potentiel d’attractivité du divorce sans juge favorable à son accueil
Le fort potentiel d’attractivité du divorce sans juge en Afrique résulte des conditions requises pour qu’il soit exécutoire dans les États d’Afrique francophone au sud du Sahara, comme l’illustrent les règles de conflit béninoises.
 
Selon l’article 972 du Code des personnes et de la famille du Bénin : « Les actes publics étrangers exécutoires dans l’État d’origine sont déclarés exécutoires au Bénin s’ils réunissent les conditions nécessaires à leur authenticité dans l’État où ils ont été dressés et si les dispositions de l’acte dont l’exécution est demandée ne sont pas contraires à l’ordre public béninois ». Au regard de cette disposition la première condition pour qu’un divorce sans juge prononcé en France soit exécutoire au Bénin est sa régularité de l’acte en France. Or, selon l’article 309 du Code civil français, « Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française : – lorsque l'un et l'autre époux sont de nationalité française ; – lorsque les époux ont, l'un et l'autre, leur domicile sur le territoire français ; – lorsque aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps ».
 
L’article 309 du Code civil français fonde ainsi la compétence de la loi française non pas sur le seul critère de la nationalité, mais aussi sur le critère du domicile en France ou sur le critère de la compétence des tribunaux français à connaître du divorce, alors qu’aucune loi étrangère ne se reconnait compétente pour en connaître. C’est donc la proximité avec la France qui fonde finalement la compétence de la loi française à connaître du divorce et de la séparation du corps. Au regard de ce critère de compétence, la condition de régularité du divorce sans juge en France est facile à réunir.
 
Une difficulté peut cependant surgir qui provient de l’article 971 du Code des personnes et de la famille du Bénin selon lequel : « En matière d’état et de capacité des personnes, la reconnaissance ou la force exécutoire peut être refusée, si la juridiction étrangère a tranché une question d’état ou de capacité d’un Béninois et a abouti à un résultat différent de celui qui aurait été obtenu par application à cette question des règles de conflit des lois béninoises ». 
 
Cet article pose ainsi une condition d’équivalence des solutions qui pourrait bien paralyser l’accueil des divorces sans juge au Bénin dans certaines hypothèses. En effet, selon les règles de conflit béninoises, « Les causes et effets du divorce ou de la séparation de corps sont régis par la loi nationale commune des époux à la date où la demande introductive est présentée au tribunal. En cas de nationalités distinctes à cette date, les causes et effets du divorce ou de la séparation de corps sont régis par la loi du domicile commun des époux ; à défaut, par la loi du dernier domicile commun, pourvu que l’un d’eux ait conservé ce domicile » (Code des personnes et de la famille, art. 987). Selon ce texte, l’accueil du divorce sans juge ne soulèverait pas de difficulté particulière lorsque les ex-époux sont de nationalité française ou lorsqu’ils sont de nationalité différente. Dans l’hypothèse où les ex-époux ont une nationalité commune différente de la nationalité française et que la loi française a été appliquée à leur divorce en raison du critère de domicile en France, leur divorce sans juge pourrait rencontrer des difficultés à être exécuté au Bénin. Dans cette hypothèse, la validité du divorce est la condition de sa soumission à la loi nationale commune des époux, à moins que cette loi nationale commune renvoie à la loi française. Cette limite posée par les règles de conflit est bien justifiée et permet de lutter dans une certaine mesure contre le forum shopping.
 
Une fois admis la régularité du divorce sans juge prononcée en France, l’autorité d’accueil doit résoudre la difficulté de sa qualification.
 
Le principe de la qualification lege fori favorable à l'accueil du divorce sans juge dans les États de l'Afrique francophone
Le principe de la qualification lege fori est un principe issu de la jurisprudence française issu de l’arrêt Caraslanis de la Cour de cassation française du 22 juin 1955 (Cass. 1re civ., 22 juin 1955, Rev. Crit. DIP, 1955, 723, note Batiffol D., 1956, p. 73, note Chavier, Journal des juriste hellènes, 1956, p. 217, note Franceskakis, GA, n° 27). Ce principe est passé dans le droit international privé des États francophones d’Afrique depuis leur assertion à l’indépendance.
 
L’une des caractéristiques du droit international privé en droit contemporain reste la diversité des systèmes juridiques. L’une des conséquences de cette diversité est l’autonomie des États dans la construction de leurs catégories juridiques. C’est ainsi que depuis le mois de janvier 2017, les catégories juridiques du droit international français se sont enrichies d’un nouvel élément : le divorce sans juge. Quand bien même il s’agit d’une création française, le divorce sans juge, dans certaines hypothèses, aura à déployer ses effets en dehors de la France et parfois en Afrique francophone surtout en raison de ce que l’un ou l’autre des deux époux divorcés est de la nationalité d’un États d’Afrique francophone. Il y a une extraterritorialité attachée au nouveau divorce sans juge consacrée en France.
 
En règle générale, la qualification du divorce sans juge devra se faire selon les catégories juridiques du système juridique qui l’accueille. Or en l’état actuel, aucune loi ne consacre le divorce sans juge dans les États d’Afrique francophone. C’est alors à partir des catégories juridiques existantes que va s’opérer la qualification de ce nouveau divorce. S’agit-il d’un élément du statut personnel ou d’un acte juridique ou encore d’un fait juridique ? Tout dépendra de l’angle sous lequel le juge ou l’autorité saisie va appréhender ce nouveau mode de divorce.
 
Cette étape de la qualification est très déterminante de l’appréciation de la régularité de la loi qui a été appliqué à ce divorce.
 
Parmi les catégories juridiques de droit international des États d’Afrique francophone, deux sont susceptibles d’accueillir le divorce sans juge. Il s’agit soit de la catégorie du statut personnel ou soit de la catégorie des faits juridiques. Si l’on considère que le divorce sans juge est un élément du statut personnel, la loi applicable est déterminée à partir de la solution issue de l’arrêt Rivière (Cass. 1re civ., 17 avr. 1953), que la plupart des législateurs dans ces États ont codifié. Ainsi par exemple selon le Code des personnes et de la famille du Togo, « le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi nationale des époux lorsqu’elle leur est commune et, en cas de nationalité différente par la loi du pays où ils ont leur domicile lors de la présentation de la demande ; et à défaut de preuve de l’existence d’un domicile commun, par la loi de la juridiction saisie (…) ». Ainsi, au regard de cette règle, si les époux sont de nationalité française, la loi française est applicable à leur divorce. Mais s’ils sont de nationalité différente, la loi française est applicable au divorce dans l’hypothèse où ils ont leur domicile commun en France ou dans celle dans laquelle ils ont saisi le juge français pour le divorce. Compte tenu de la spécificité du divorce sans juge qui est un divorce par acte d’avocat sous signature privé enregistré aux minutes d’un notaire, c’est seulement l’hypothèse dans laquelle les époux ont leur domicile en France qui peut retenir notre attention à ce sujet. Pour cela, lorsque des époux ayant des nationalités différentes ont leur domicile en France, la loi française est applicable à leur divorce. Or le divorce sans juge étant l’une des modalités du divorce selon cette loi, la condition de régularité du divorce sans juge est donc réunie.
 
Dans l’hypothèse où le divorce sans juge est rangé dans la catégorie des faits juridiques, la loi applicable au regard de la règle de conflit dans lesdits États est la loi du lieu de survenance. Si le divorce a lieu en France selon la loi française, elle satisfait aux conditions de régularité en France pour produire effet à l’étranger, à moins que l’ordre public international n’intervienne pour faire obstacle à sa reconnaissance.
 
L’intervention de l’ordre public international comme obstacle possible à l’accueil du divorce sans juge
L’ordre public international est un mécanisme d’autodéfense qui permet à un système juridique de faire obstacle à un acte public étranger dont les effets porte atteinte aux valeur jugées fondamentales dans l’ordre juridique du for.
 
Ainsi, si le juge ou l’autorité étatique d’un État, sollicité pour faire produit effet au divorce sans juge dans un État considère que cette forme de divorce est incompatible avec ses valeurs, le divorce sans juge ne pourrait donc pas être accueilli dans cet État. L’ordre public international est alors un obstacle potentiel à l’accueil du divorce sans juge dans un État.
 
Mais, concrètement, le recours à l’ordre public international pour empêcher le divorce sans juge de produire effet dans un État d’Afrique francophone au sud du Sahara, peut être considéré comme excessif.
 
En effet, le divorce sans juge est avant tout un divorce par consentement mutuel. Or, la plupart des États d’Afrique ont consacré dans le doit positif, le divorce par consentement mutuel. Dans ces conditions, le fait qu’il puisse être conclu par acte d’avocat et enregistré dans les minutes d’un notaire est une mesure qui permet l’allègement de la durée et du coût de la procédure devant le juge.
 
Son accueil mériterait d’être fortement encouragé.
Source : Actualités du droit